Ces bénévoles qui recherchent les personnes disparues : «On répond au besoin des familles»

Paris, le 14 mars 2022. Anne Karlsson, présidente de l'ARPD Ile-de-France, avec le vice-président, Jean-Pierre, à leur sortie de l'Institut médico-légal. Ils apportaient une douzaine de photos de personnes disparues, pour savoir si elles pouvaient correspondre à des défunts admis à la morgue

 

 

Ils s’appellent Mounir, Elsa, Mehdi, Zoran, Pascal, Roger. Leur dernière trace de vie était en Île-de-France. Après avoir poussé la porte d’un commissariat, leurs proches ont sollicité l’ARPD, une association de bénévoles qui mène aussi des recherches.

L’angoisse augmente au fil des heures. Bientôt deux jours que leur grand-mère n’est pas rentrée. Elle a déjà tenté de se suicider, la Marne n’est pas loin. Sa famille a prévenu la police, mais ne se résout pas à attendre que le téléphone sonne.

« C’est une mission pour les chiens », pense Anne Karlsson, alertée par les enfants. À peine le téléphone raccroché, cette énergique militante contacte Olivier Missin, de l’association K9SAR. Un coup d’œil sur Google Maps, un SMS à Flori, infirmière, un autre à Thierry, qui travaille dans une banque. Le temps de récupérer leurs chiennes, l’équipe se retrouve à 20h30, dans le Val-de-Marne, au pavillon de la retraitée disparue. Un de ses vêtements est posé quelques instants sur un radiateur pour en exhaler l’odeur avant d’être présenté aux animaux.

Polka, une malinoise, renifle d’abord les personnes présentes, pour annuler leur odeur, seule celle de la disparue doit la guider. La chienne file vers un grand pont, s’engage dans un chemin, qui débouche sur une volée de marches menant au fleuve. Le passage est étroit et invisible dans cette nuit noire. La chienne tourne, retourne, s’arrête, le museau pointé vers l’eau.

Au tour de Neya. Même point de départ, même protocole. La petite chienne croisée ralentit près d’une voiture, intriguée par son passager, repart, jusqu’aux marches, elle aussi, et se met à « pleurer », « triste de n’avoir pas trouvé » la retraitée, décrypte un maître.

« On ne cherche pas Dupont de Ligonnès »

« Notre mère s’est suicidée », nous confie quelques jours plus tard un des enfants, ému aux larmes. Sa funeste conviction est confirmée par la brigade fluviale le mois suivant. Le corps est repêché dans ce secteur indiqué par l’équipe de bénévoles de l’ARPD, Assistance et recherche de personnes disparues, qui reçoit de plus en plus de sollicitations.

Comme Anne, jeune retraitée de l’aérien et présidente de l’antenne d’Île-de-France, ils sont une trentaine de Franciliens à avoir rejoint cette association qui a assis sa crédibilité depuis sa création dans le Val-d’Oise en 2003. « On ne recherche pas Xavier Dupont de Ligonnès, on répond au besoin des familles et on ne juge jamais », résume-t-elle lors de l’assemblée générale de l’antenne régionale, dans une salle louée pour l’après-midi près de la gare de Lyon, à Paris. L’association n’a pas de locaux. Son credo : le terrain et le réseau.

En un an, une quarantaine de familles ont sollicité l’antenne régionale, à la recherche d’une enfant qui s’est volatilisée après le décès du père ; d’une tante partie, pieds nus, de l’hôpital psychiatrique ; d’un papa désorienté par la maladie d’Alzheimer qui s’est trompé de porte en descendant les poubelles ; d’une sœur de 70 ans que les secrets de famille ont éloignée depuis longtemps. Plus de la moitié des dossiers ont été refermés. Les disparus sont revenus d’eux-mêmes, ont été retrouvés, vivants ou non.

« Mon frère Mounir a disparu le 27 décembre, la police a dit qu’elle me tiendrait au courant, mais je n’ai aucune nouvelle », s’inquiète l’un de ses frères. Mounir a 49 ans, il est divorcé et sans emploi fixe, après des études de médecine et un MBA, explique ce frère. Il aurait prévenu qu’il allait chez quelqu’un, après une discussion animée avec son beau-père qui l’hébergeait en Seine-Saint-Denis. Et depuis, plus rien.

Ses proches ont déposé plainte et découvert sur Internet l’existence de l’ARPD. Pour lancer les recherches, il faut régler une cotisation de 40 euros, la même que pour les bénévoles, signer une décharge, fournir tout ce qui peut aider, les coordonnées de proches, numéros de banque, de sécurité sociale, et des photos, surtout, pour constituer un avis de recherche. Le téléphone de Mounir sonne toujours, mais bascule invariablement sur la messagerie.

Avis de recherche et système D

Un téléphone qui sonne dans le vide ne suffit pas à caractériser une disparition inquiétante pour les autorités. On peut aussi vouloir couper les ponts. « Ce n’est pas parce que mon frère est majeur et sans abri que sa disparition n’est pas inquiétante. Nous, on s’inquiète, on voudrait au moins savoir s’il est vivant, s’il va bien », explique Malika, à la recherche de son frère Mehdi, 42 ans. Leur père est décédé. Sans nouvelles d’un fils, aucun notaire n’accepte de régler la succession.

Le réseau avec les autres régions, y compris la Réunion, 230 enquêteurs au total, permet de multiplier les contacts. L’association réunit d’anciens gendarmes et commissaires de police, dont le médiatique Bernard Valézy, vice-président, ça aide. Surtout quand il faut contacter les autorités. Pas question de marcher sur les plates-bandes des officiels, l’association le rappelle dès qu’elle peut, même si les bénévoles sont dotés d’une carte où il est écrit « enquêteur ».

La personne retrouvée choisit si elle veut renouer

Les personnes signalées disparues souffrent très souvent de troubles. « Plus vite on va retrouver une personne désorientée, plus vite elle pourra retrouver un cadre de vie adapté à ses besoins », estime Anne-Ségolène Goumarre, directrice des équipes mobiles au Samu social de Paris. Une convention a d’ailleurs été signée avec l’ARPD, qui envoie régulièrement des avis de recherche. C’est comme cela que Lutfia Zbad a été reconnue, le 7 mars, par une maraude de nuit. Cette touriste israélienne avait disparu sur les Champs-Élysées en octobre 2019.

Les recherches apportent leur lot de surprises. Un homme a été retrouvé emprisonné dans l’Hérault. « Il faut être patient, avoir les codes, et le facteur pot existe aussi ! » concède Philippe, jeune retraité de la gendarmerie, rallié à l’ARPD. Un enquêteur chanceux, qui vient de retrouver une disparue. Encore faut-il trouver les bons mots pour ne pas se faire claquer la porte au nez, le jour J. « On lui dit que c’est elle qui décide de renouer ou pas », explique-t-il.

Parfois, la famille fait passer une lettre, des photos. « On ne donnera jamais les coordonnées d’une personne disparue volontairement », ajoute-t-il. La fille n’a pas voulu renouer. Philippe a rassuré la maman, sa fille est vivante et en bonne santé.

Morts sous X

En ce lundi du mois de mars, les responsables franciliens ont rendez-vous à l’Institut médico-légal (IML) de Paris, avec une dizaine d’avis de recherche sous le bras. Autant d’introuvables, peut-être décédés. Un corps repêché dans la Seine, à la morgue depuis deux mois, a déjà été identifié ainsi.

Anne tique sur le nom d’une défunte, le même que celui d’une disparue. Fausse alerte. Simple homonymie. Un tatouage fait la différence. Les « morts sous X », enregistrés par l’Insee, ont aussi été passés au crible pour faire des recoupements.

Cinq mois après la découverte du corps de Roger Van Poucke, sur un chemin, à Collégien, en Seine-et-Marne, en octobre 2021, sa fille, Caroline, est toujours en contact avec Jean-Pierre, l’enquêteur de l’ARPD. Il l’a tenue au courant de ses recherches dans les hôpitaux, les hôtels, mairies…

« Jean-Pierre a été un soutien bienvenu dans les moments de panique et d’agitation, il a été notre seule aide, notre seul espoir. La communication entre la police des deux pays est désastreuse, l’empathie inexistante », nous écrit sa fille depuis la Belgique, qui espère connaître un jour les circonstances du décès de son père, à 300 km de chez lui, identifié grâce à une prothèse. Elle a prévu de se rendre en France le jour de la Fête des pères.

« La situation d’absence va au-delà de la souffrance, c’est une situation juridiquement et administrativement très difficile », explique Anne, qui a épaulé des orphelins. Leur père avait laissé un mot d’adieu, mais son corps n’a toujours pas été retrouvé. Elle les a accompagnés au tribunal pour solliciter un jugement en présomption d’absence, qui permet de nommer un administrateur de biens. Si leur père réapparaît, ce jugement sera annulé. À défaut, dans dix ans, il sera considéré comme décédé.