Disparition de Tiphaine VERON : un \"cauchemar\" sept mois après

Sept mois après la disparition de la Poitevine au Japon, l’enquête niponne patine concernant l’exploitation des données de la téléphonie. La famille n’a plus qu’un espoir : l’instruction française.

 

 

La seule certitude, c’est la dernière preuve de vie de Tiphaine à l’hôtel. Puis plus rien.

Mercredi 20 février 2019, la maman de Tiphaine, Anne Désert et son frère, Damien Véron, ont accompagné l’avocate, Emmanuelle Bernard, au tribunal d’instance de Poitiers. Ils ont établi avec un juge des tutelles une « déclaration de présomption d’absence ». La procédure juridique permet, au bout de dix ans, de procéder (comme pour une curatelle) à une administration des biens de la personne disparue. 
« C’était un peu compliqué de l’évoquer avec la famille mais il fallait passer cette étape pour ne pas laisser la maman dans le flou juridique et faire partir ce délai de dix ans », indique leur conseil. La procédure est rare, héritée des conflits armés du XXe siècle. Elle s’éteindra d’elle-même si Tiphaine est retrouvée. 

 

“ C’est un cauchemar… ”Tout le monde espère qu’elle est saine et sauve. Quelque part dans ce pays du Soleil levant qu’elle chérissait tant. Mais l’auxiliaire de vie pour enfants handicapés à l’école Alphonse-Daudet de Poitiers s’est comme volatilisée. « La seule certitude que nous ayons : elle a été vue le dimanche matin au petit-déjeuner à l’hôtel et son téléphone s’est connecté au wifi de l’établissement, à 11 heures. Après, il n’y a plus rien, résume Damien Véron. C’est un cauchemar… Si seulement il y avait eu des demandes de géolocalisation d’emblée… »
La différence d’approche des méthodes policières et judiciaires entre France et Japon est un frein dans cette enquête. La recherche sur la téléphonie de la Poitevine, pierre angulaire du dossier, est l’exemple le plus criant. « Tout tourne autour de ça, soupire Damien Véron. Mais nous n’avons rien. » 
L’information peut paraître incroyable en France : la géolocalisation du portable de Tiphaine Véron depuis sa disparition n’a toujours pas été réalisée. 

 

Toujours pas de données de géolocalisation du portable

Sur les fadettes (relevés des flux téléphoniques) du portable de Tiphaine Véron (abonnée à Free), il y a bien les numéros entrants ou sortants mais aucune localisation géographique de l’endroit où elle se trouvait au moment du « bornage » par l’opérateur japonais (*). Chaque antenne relais détecte l’accroche de votre portable quand vous changez d’endroit. Cette information est systématiquement demandée par les forces de l’ordre aux opérateurs en France, en cas de nécessité. Elle permet parfois de retrouver une personne suicidaire… ou disparue. Pas au Japon. 
« Il n’y a pas eu de mandat délivré aux opérateurs. C’est le système japonais, indique Me Emmanuelle Bernard. Au Japon, la police n’est pas chapeautée par le parquet. Tant qu’ils n’ont pas la preuve d’un crime, ils ne saisissent pas un procureur. Et sans magistrat, pas de mandat. Le problème aussi, c’est le statut de la partie civile. Il n’existe pas au Japon. »
Le fossé culturel ajoute à l’incompréhension. Non seulement il faut ménager la « diplomatie de la courtoisie », dans un pays où le savoir-vivre n’autorise pas à critiquer ouvertement l’ordre établi, mais il y a plus insolite.
Les “ évaporés ” de la société japonaise« La disparition d’un adulte n’est pas considérée comme inquiétante au Japon. Il y a ce qu’on appelle les “ évaporés ”, des femmes ou des hommes qui décident de disparaître volontairement à la suite d’une perte d’emploi ou d’une séparation, explique Damien Véron. Mais dans le cas de Tiphaine, la police a pourtant constaté qu’il n’y avait rien de volontaire. » Ce sont d’ailleurs les policiers qui avaient informé le consulat de France au Japon de la disparition de Tiphaine.

 

A quand l’envoi de la police judiciaire au Japon ?

Alors ? « Notre dernier espoir, c’est l’instruction française », explique Damien Véron. Il a prévu de retourner à Nikko au mois de juin. « Pas pour enquêter », prévient-il. Pour fouiller le lit de la « Daiya river » (il en a déjà ausculté 10 km). Même s’il sait, comme l’ensemble de sa famille, que la thèse accidentelle ne tient pas. 
Dans l’immédiat, la juge d’instruction de Poitiers, saisie dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « enlèvement et séquestration », attend toujours la traduction du dossier d’enquête japonais. L’envoi d’officiers policiers judiciaires français au Japon, réclamé depuis des mois par la famille Véron, serait en cours de discussion. Dans combien de temps ? Et avec quelle marge de manœuvre ?
(*) Il pourrait s’agir de « Soft bank ». Nous avons contacté le service de presse de Free qui n’a pas confirmé l’information en l’état. La famille Véron a lancé une cagnotte pour l’aider au financement des recherches au Japon sur le Pot commun : https ://www.lepotcommun.fr/ pot/ztscjcq2

 

Repères

De Nikko à Macron, sept mois à retourner ciel et terre

> 27 juillet 2018. Tiphaine Véron, amoureuse du Japon, atterri à l’aéroport international de Tokyo (Japon). Elle doit passer trois semaines de vacances dans le pays.
> 29 juillet 2018. Descendue dans un hôtel de Nikko, dans une ville touristique à 150 km de la capitale, Tiphaine Véron est officiellement portée disparue.
> 6 août 2018. La sœur et les deux frères de Tiphaine sont déjà à Nikko depuis plusieurs jours. Ils participent aux recherches avec les policiers nippons. Anne Désert, la maman, adresse un courrier au président de la République, Emmanuel Macron, pour « réclamer plus de moyen de recherches ».
> 9 septembre 2018. Sibylle Véron, sa sœur, lance un appel aux touristes à Nikko pour savoir s’ils disposent de photos.
> 17 octobre 2018. Sibylle Véron interpelle Emmanuel Macron dans la cour de l’Élysée à l’occasion de la visite du Premier ministre japonais, Shinzo Abe.
> 10 novembre 2018. Près de 500 citoyens participent à une marche à Poitiers « pour retrouver Tiphaine ».
> 20 février 2019. L’enquête est au point mort. Une déclaration de « présomption d’absence » est déposée au tribunal d’instance de Poitiers.

 

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